Journal poétique / www.jouyanna.ch

en suspension

samedi 16 août 2014, par Anna Jouy

Rien n’a changé, c’est ce qui vient à l’esprit. C’est faux bien sûr. Mais il y a ce même parfum des arbres, mélangé à l’eau du fleuve, qu’il sentait quand arrivaient les vacances. Ce même goût de joyeuse innocence qu’il savourait en débarquant l’été pour quelques semaines avec ses grands-parents.
N’a pas même choisi de revenir ici. A la gare, la seule liberté qu’il connaissait portait ce nom, ce coin de terre inscrit en lui comme lui appartenant sans le moindre doute. Là, le droit de vivre lui était acquis depuis la nuit des temps. Ce n’est que dans le train qu’il a réalisé, qu’il a senti que ses racines profondes avaient bougé et l’avaient ramené dans le giron de son existence, sans même qu’il y soit pour quelque chose.

Prendre la rue pavée. De l’autre côté de cette butte se tient un café, sous quelques platanes noueux. Marquant son pas, lentement il avance. Ne pas surprendre les morts mais les deviner au détour du regard, vaquant à leurs pépertuelles tâches. Ce vieillard qui tombe ici de sa bicyclette et qu’on couchera éternellement dans quelques heures, la mère de Louis toujours à sa fenêtre à zieuter les passants, le groupe de copains jouant, cette femme au gros cul sur son vélo… Revoir ces lieux, avec une ivresse inquiète et les laisser l’envahir.

Il ne sait pas vraiment ce qu’il fait là, mais est-ce si important…le but ? Devant un vin blanc frais, une assiette de légumes et de viande, l’esprit reste sans voix. Le corps savoure, se délecte de nourritures nouvelles, de ce vent vert et jaune, de cette chaleur veloutée, d’éblouissements et du son fêlé d’une église qui baille ses quarts d’heure. Jambes étendues, le corps rend grâce au jour qui est là, au jour qui le ravive de simples choses et d’un autre soleil. L’esprit quant à lui, efface le temps, remonte les berges du fleuve. N’existe plus que l’écume salée d’une vie heureuse qui ne manquait jamais à aucune de ses promesses.

Il regarde, il se souvient. Chaque coin de cette place recèle des images, jamais revues, jamais rappelées. Les quelques semaines où l’on se débarrassait de lui pour d’autres découvertes interdites aux enfants, étaient à la fois faites de cette douloureuse pénétration de l’abandon, inoculation de tristesse et de cette interminable peur de vivre, et d’une toujours plus profonde adhésion au détachement et à la liberté. Il fallait bien s’appuyer sur quelque chose.

Ici, il avait appris à ne plus aimer ses parents, ici, il avait senti éclore le premier vrai sentiment d’amour.

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