Journal poétique / www.jouyanna.ch

mars

dimanche 26 mars 2017, par Anna Jouy

1.3.17
Premières lueurs. Rituel.
On enfile son habit provisoire comme on glisse quelques mots dans une enveloppe.
On se tient à son fil de lumière, suspendu crochet de cerisier ou de nuage.
Un attelage de cloches perce le matin
Le ciel de verre égaie le cristal acide de son collier
Le monde secoue la nappe des cris de la nuit
Une poussière d’orgasmes et de pleurs comme le sel des étoiles après l’amour
Le vacarme use son os et déjà
Une scie musicale jusqu’à la friche s’adonne à la sciure à venir

2.3.17
Le cerisier tisse ma prison de branches et je prie dans le profil de vitrail des arbres de ce temps. Nues sont les églises. Encore.
C’est un jour de muraille, un ciel qui monte de terre mieux que la prison des hommes
Je pose mon front contre l’écorce des pierres. Il y a des heures où l’on ne va pas loin, la chambre déjà résonne des masses de l’orage. Un dieu frappe à ma porte et je tiens ma lumière entre mes paupières comme une cible pour l’archer.
C’est un jour de cloison, de refuge et de sommeils. La vie attendra que la mort écarte le plomb de ma fenêtre.

3.3.17
Une cheminée galope dans le matin, longue queue qui frappe le ciel. Elle traverse la plaine.
Le chat croque des mots, comme des silences sur la fenêtre
La grosse pie qui garde le jardin cloue du bec chaque bosquet, ses frères moineaux seront bien gardés
Le froid se glisse entre les cellophanes de la bise
Le fils revient de l’amour par les ruelles, son âme nouée à son mouchoir
La belle a dit rappelle-moi.
Un camion rumine maison après maison les ordures dernières
La nuit se noie dans une tasse
Et je pose sur la table le cahier de la Terre, chambre à airs crevée par les cahots du rêve.
La veille.

5.03.17

Il y a de matins où l’on sent qu’il faut être à jour. C’est que le placide miroir raconte à nouveau des histoires. Qu’il vaque à des beautés en retard. Et on sort le râteau des invendus, faire ciel net à la lisière de la semaine. Quelques mots grouillent encore dans le vestibule, avec leurs vermicules de poudre aux yeux. Des confettis de terre après un bal de vers. Il est temps de vider la benne des tonnes de paroles, boucler la littérature avec un cadenas, peser payer.
Être à jour, c’est-à-dire au point de rosée, à œil fendu, à déchirure de paupières, à la renaissance des solitudes qui mènent la danse, le jour où paraître est plus profond que l’être, une banquise en son jardin

6.03.17
je vais me lester d’une forêt, d’un cerisier, d’un jardinet
me tenir à a terre pour esquiver le ciel
je vais encombrer ma besace du tout-venant de la fenêtre
empêcher que d’amour je vole
agrafer ma jupe au velours de la chaise
nouer mes lacets à ses pieds
oublier le cintre de mon manteau
vivre retenue à la laisse du chien
je vais avaler la rivière, son tablier de pierres
promener mon cœur comme une bosse sur le dos
il faudrait éviter que d’amour j’espace j’univers je bout du monde
il y a en moi un grain qui m’intéresse

7.3.17
j’écoute les tendances de la pluie, une jupe courte de saison
d’ailleurs c’est un plissé de ciel, infroissable, de multiples rayons de pluie.
on dirait sur ma tête la grande roue du Prater.
c’est le seul temps où il convient de porter son ombre à la main, comme une bandoulière généreuse
j’écoute les tendances du vent.
il ne donne à lire que des arbres fuyants, un bouffonnement des manches faisant des femmes des polkas, des valseuses à soufflet.
on dirait des bubble gum près d’éclater sur les lèvres des hommes
j’écoute la tendance
chaque aube me parle de la vie à la hausse sur l’anticyclone de la mort
les œufs se sont mis à germer c’est dire que ça promet volaille.

8.3.17
Je cours après le fil qui achève le pays, le motif ne s’arrête pas. Il navigue et chaque matin l’aube défait la nuit, nuage après nuage, maille après maille, comme on voudrait emplir la veste de son père et qu’on y flotte maigre, en retard d’une épaule.
J’épuise le soufflier des jardins de l’enfance, un arbre empli de vent et de feuilles volières. Doit -on aller jusqu’au nu de ses bras, la trame tendue des écorces du ciel ?
Doit-on s’apercevoir lentement, de cette manière obstinée qu’ont les jours de filer, que son père n’était rien et que c’est à chacun son tour de refermer ses branches sur le vide essentiel ?

9.3.17
je vais laisser au temps ces devoirs humides
les histoires que l’on glisse sous buvard
il y a assez de nuages pour absorber le fleuve triste et la crème d’écume du pays
assez d’étoupe pour assécher l’éternité
je vais enclencher les mécaniques de l’arc-en-ciel et tirer un missile de couleurs développer un projet bleu tendu à l’empan de la main
clouer l’horizon sur le chevalet noir
à la punaise de poète
longue pointe et chapeau de riz
il ne pleut presque plus
une tulipe vient et sa lune cache-cache

10.3.17
je t’aime bien mon immobile
la Terre venteuse enroule à tes pieds quelques feuilles,
des bracelets de mort
tressés des arbres qui voyagent
des couronnes rousses où s’endort la lune
et tu me fais puits à la corde des étoiles
j’écope les jours de pluie
chaque goutte me raconte un pays, une mer autre part
et moi, monocle de jardin
j’attends à la barre fixe, je joue la sentinelle

11.3.17
la clef est dans le cache pot
il faut s’agenouiller parmi les fleurs
pour ouvrir la fabrique des nuages
courber sa fatigue et atteindre les pollens du sommeil
juste retour de terre
comme on ferme son cadenas et que l’on est soudain un nouveau crochet dans le volage.

12.3.17
quelque chose bouge au loin c’est la mort qui fait la chambre
comme on enfle des ballons sous le feu.
quelque chose monte, une planète légère échappée
et sur le sol j’empile l’amour, des ballasts charnels, des ports d’attache
puisque qu’un jour va venir et qu’avec lui cet élan unique de la transparence.
je n’aurai pas assez lesté ma chair dans le cœur des hommes pour ne pas dissiper ma jupe dans les plis du nuage
quelque chose chaque aube gonfle à ma hanche et m’apprend à marcher sur le ciel.

13.3.17
Dès le matin, la main aboie
Jappements dans la cour
Et la feuille se remplit de ses rêves de chienne
J’ai comme ça un zoo
Sous ma grille
Un bison dans mon front
Un lézard dans le dos
Deux poulettes à la crête coccinelles
J’aime gouverner mon bestiaire
Seule la chatte poursuit sa nuit insolente
Elle me surprendra sans doute au détour d’un jeune homme
En tournant la clé du moteur à bonheur
Et j’aurai l’air soudain d’un épouvantail à moineaux
Déserté de ses anges
Un humain bêtement

14.3.17
Je voudrais une chevelure à queue d’étincelles
Des épaules douvées
Des brassières de joncs
J’aimerais des coupoles avec des archanges orgueilleux dressés dessus
Des hanches Zambèze
Des presqu’îles pour mes pieds et la mer surtout
Tout autour
L’ennui que d’être un homme
Comme un clou dans le temps tapissier
Garniture avec sa tête plate qu’on frappe
A coup de métronome
Mes rêves sont lisses, c’est l’ère du fer poli

Faut écouter pourtant la sève de la pointe

15.3.17
Ma mère prit le cordon et le noua à ma mort
Aime-moi maintenant, dit-elle
Et de perte en perte je sens l’amour, comme une barque qui tire sur l’amarre
Une ligne hors d’atteinte à la frise du ciel
Et la terreur des sables oubliés
Et la chaîne inépuisable des vagues.
Aime-moi maintenant
Un soleil se lève un soleil se couche
La mer ne descelle ses lèvres
Je jette des avions comme des ancres à l’horizon
Là-bas où mes attaches ont disparu.

17.3.17
Mon visage court comme un buisson sans racines et le ciel est désert d’autres figures. Je suis un bosquet dans sa livrée de vent. Mon visage brûle, chaque aube les oiseaux étincellent. Et je peigne le feu à l’orée de la nuit.
Mon visage court, muscles enflés d’un souffle sec. Il file à la frise des lumières, nouer son paysage au soleil qui passe.
Je pense et je joue dans tous les sens
Me trouver vite une cache où arrêter ma course et fondre ma présence.
Si le soleil se montre avant mon refuge, je meurs aussitôt, cendre de bois sec, flambée
Et aucun dieu dedans pour s’y chauffer.

20.3.17
j’écris debout en danseuse et chaque mot enfonce la pédale
semelle nue aux griffes serties de deuil
l’exploit de bielle du grand os de travers qui me pousse dans l’ordinaire

le temps monte plus ou moins

rares sont les champs sans charbon
besogneux carburant du miel des cervelles
je vais à l’étape parcourant la ligne du chemin de vers
et mon dos tangue
comme un mât jaloux sur un pédalo de fortune
en danseuse
le souffle est court qui mouline en mon torse
un vent de saccades comme aux battants d’un vieux saloon

mettre en branle la Terre aux mots laids
elle qui ronfle comme un gouffre à la Lune

21.3.17
le soleil se lève à peine
j’ouvre dans mes cheveux
des sentiers de neige
la rivière du temps inonde mon chant
et mes doigts
comme des semeurs
halent la pâleur qu’ont les rives de saules

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