Journal poétique / www.jouyanna.ch

juillet

mardi 25 juillet 2017, par Anna Jouy

Je ne veux pas te connaitre puisque je veux t’aimer
Tout en moi résonne de ton secret
De la nuit de ta chair
A la nuit de ma main
Te connaître serait te briser
Et compter mon reflet dans la mosaïque de verre
Te connaître serait couvrir ton ombre d’un pinceau blanc
Clore l’espace à distance de bras
Le domestiquer d’arêtes et de falaises
Alors qu’inconnu, ce mystère ébloui porte vers moi
une lampe de vérités

*
D’une lèvre à l’autre on dit parfois le baiser
Tu poses ta parole sur ma langue et l’infini paysage qui t’habite
Glisse
Je n’oublie pas le pont silencieux
Ton enfant qui court et te disperse dans l’eau
Je n’oublie que tout se construit ainsi au mortier du désir
Tu as pleuré sans connaitre ta perte
Et depuis tu écoutes les arches qui craquent, la jonque des babils
Quand elle passe comme une femme aimée et sa flottille d’ovules
Ses planètes incroyables enserrant ton sexe
D’une lèvre à l’autre…

*
S’adosser à la plaine
J’aime les étendues du lit interminable
Dedans je suis l’horizon
Par toutes les épaules
Et chaque fleur, des petits pois sous le sommeil des princesses
J’entre dans la plaine avec des clous de nuage
Une griffe après l’autre
Et la terre me pénètre en territoire neuf
Nous avons des histoires de draps et de fausses couches
Que personne ne comprend

Jamais assez vertical, alors
s’abandonner à la gravité des sols vous allège des clochers et des dieux impossibles
*

Suspendre mes os à la fenêtre, mobile à cliquet
Toujours dans le sens du vent, toujours
Bain de soleil et des magnésies blanches
Toujours dans les souffles de craie, toujours
Tandis que je durcis et pâlis, pierre humaine
Mon corps comme une cage abrite un encensoir
Où un nid se balance en dispersant
Des plumes
Et du chant.

*
J’ai encore beaucoup à apprendre
Maintenant le corps me parle des leçons de feu
De morse et de fatigue
Sans doute suis-je à belle école, la nuit électrique zèbre son écran de séquelles
J’apprends à l’ampère, aux poignées d’électrodes
Et je paie en accus cash des rondelles de bourreau
J’ai beaucoup à apprendre, sans doute
Car là où je n’ai pas aimé
Des mines de douleur sautent allègres cahots
Comme au bal des ripostes
M’explosent m’inondent me brûlent
Semant sur ma chair des cratères illisibles
Apprendre je veux bien
Quoi que
....mon âme si aveugle et sourde
*

Exil
Certains traits de ta face tracent une procession inachevée
Tu te dissous toujours dans le lointain
Ton bras porte des collines
Et ta bouche les oraisons de l’horizon
Tu dis : demain…
C’est peu dire alors que tu vis à l’Est
Dans des écharpes flottantes
d’une aube le soleil
Certains traits
Comme des perspectives
Des tensions de bras
La création de la fuite
Et le monde entier tombe dans ce point, une orbite lancée de ta pupille.

*

Cet homme lançait son visage partout
En mille avis de recherche
Peut-être espérait-il qu’une femme ailleurs le reconnaisse
Comme son miroir
Son reflet faisait le détective, âme sœur y es-tu ?
Et lui, assis, avait des bras de verre et de plasma
D’étranges manches qui flottaient la reddition

*
A l’heure des miettes sur la table,
la main ramasse la journée pour l’avoine des oiseaux.

Un enfant écrit au silence sa dictée de colère

Mon corps lentement range ses gestes sur une chaise
Il cède la place
et je regarde le sol s’ouvrir de trappes d’ombre où descendre

Je dois naître dans un chapeau magique
Je fermerai les yeux et ce sera colombe.
*

Tisanerie de l’aube. Tout fait fusion
des sachets d’orage et de blés
j’emplis ma forme transparente,
des os apparaissent
des douleurs et puis des joues roses aux phrases épineuses
je grandis vite vite je rattrape mon temps un instant volage
je reviens du livre d’images décalcomanie sur mes pupilles
il y avait là-bas un cirque de chair et de pelures
je délivrais les billets
*
Nous faisons chambre commune, peut-être

Nous faisons chambre commune, peut-être fosse banale, ou alors
ce lieu où nous sommes deux
en une seule parole,
que l’appel de la nuit.
car en elle tu me ressembles et moi semblable
pareils
à la fonte des neiges, les fronts froids se touchent
électrodes
on n’attend aucune lumière
c’est mieux
d’être privés de frontières
on n’en veut pas
nous sommes des gens de paupières
de ceux de la main exorbitante
de ceux de la voix
et des images mutantes
j’ignore où tu vas
tu ne me suis pas
mais là
dans la chambre commune
tout ce qu’on tait ou murmure
nous traverse et nous change.

*
Des paroles de dimanche
Inquiètes et assombries de colonnes
Un bruit de cuir et de livre qui frappe ses ordres
Je ploie, je plie
L’esprit avance comme ça au milieu des lampions
Il suit un encens du fond des pierres
Dieu habite une falaise de calcaire et d’érosion
On se tient en bas, on pousse l’écho.
Il monte comme un oiseau d’un seul coup de paupière
On est samedi pourtant et encore
Je dois prier.
*

Est-ce un temps où ce qui n’est pas, importe plus que ce qui existe.
Je t’aime mais ton absence est si intense
Un temps où la maison avale les gestes
Prospermo Sprumante
les broie, les dissout
Où la route ne part pas mais rentre toujours
Rien d’ici n’arrête
L’insaisissable absorbe
Je veux perforer le mur pays, le mur ciel, le mur portier
Déchirer les énigmes
Jeter mon encre derrière, de l’autre côté du sel et des superstitions
Je veux saisir la langue magnétique, me l’enfoncer dans le verbe, sonder l’arrière-pensée de cette vie.
Il ne reste plus que l’équivoque pour tenir.

*
Hier je t’ai vu écraser le soleil et la fumée là-bas
dans un lac
rouge.
Ton cigare a fait une aura de madone à la lune
Tu es parti avec ta conquête.
Ici le ciel a quelque chose d’éparpillé entre les feuilles
je pense à des bris, du vitrail glissant
et puis il parle au moindre vent, ce que j’entends
des broutilles de gazelles, des cliquetis de bègue
nous ne sommes pas vivants que ça chante
nous les images, nous les mots
je m’en retourne, le dos en mortier de peurs
tout cela je le vois de la vitre
toi le lac toi le fumeur de lumière
et puis ces éclats
derrière, irrecevables.
*
ne restent que deux âges
le passé et le futur
le présent n’existe plus puisque j’ attends
j’écris en retard, cette fraction, ce millimètre, cette densité
épelée entre l’aube et le crépuscule
du foin, des pives, des grenailles
l’instant
regarde ce qui se lève et ce qui s’étend
et l’homme disparu et la femme coquille
l’oiseau entre eux dispersant les boisseaux
de graines de la pupille.
la nuit se remplit de ta forme sombre et lourde
le jour te vide à grands seaux de lumière

*

la nuit me glisse comme un bas sur la jambe
résille de fatigues et de songes
la nuit treillis d’abeilles, la nuit trappeur d’oursins
qui s’effondre sur mon pas, embûches épineuses
il y a des sommeils où l’on ne ramasse que des tisons
et d’autres où l’on écrème la moire
l’accroc ou le velours
et quand c’est ainsi, qu’elle me pèse jusqu’à la terre
qu’elle tombe en flaques de bitume
il ne reste qu’à rincer de lumière glacée
son voyage
*

déchire chaque mot une aube dedans, foutue...

brise chaque mot
à la pince coupante des mâchoires
une aube dedans, foutue amande
une glissière de lumière à émonder
de la griffe, des dents, du croc
déchire les coutures de l’œil : le mot me regarde
qui s’ouvre et absorbe
chaque mot sans fin se détrousse
mites et phalènes
par n’importe quel bout je te prononce
une onde magnétique te reforme, entier, parfait
dans ma bouche.
tu es tout, dedans, la réplique reformulée du big bang
et te toucher, te boire ou te lire
met à ma portée de savoir
quand il s’agit d’entrevoir à mon tour,
j’écoute le premier mot qui vient
ce jour c’était : où ?

*
Voilà. Je m’accoude au soir, bastingage volatil. Le ciel s’enfuit dans le siphon du lac.
Il entraine la table, les verres et les tissus dans la tirelire des vagues. Des économies de lumière qui résonnent ; l’épargne avare d’un clocher frappe monnaie.
Tu ne verras point.
Je penche du côté de l’aveugle, mon corps lentement s’efface. Déjà plus de pieds, plus de mains, quelques cheveux peut-être.
Tandis que le coeur allume sa lampe

*

je suis une machine à écrire, de tuyaux, de puces, de roues dentées. je suis une horloge atomique, les mots se cognent de lumière, ils respirent au soufflet, à la bielle, à l’engrenage.
une machine qui remet de la nuit sur ce ciel pâlissant, des lettres, des chenilles, du sound included. je me hisse mécanique à la surface, j’éclabousse. je pavane de fortune.
il s’agit comme ça de puisards, de derricks, de forages automates. tandis que le désert hoche de la tête, acquiesçant et servile, comme un levier nu.

*
Il n’est venu que toi,
ton profil jaloux des ombres, cisailles de nuit

il fallait que je sache l’attente,
le défilé
il fallait que je sente l’imaginaire et le mot dépiautant l’avenir
que j’invente ainsi l’usage et l’ennui
la platitude d’un songe sans matière il fallait
ce que je songeais triait parmi les pierres une inclusion d’amour.

il n’est venu que toi
alors l’unique
le particulier
ce que je ne pouvais nommer
tout avait été dit avant
mais toi tu n’avais ni nom ni lèvres pour te faire naitre
tu étais d’un poème

*
me casser de la nuit avec mon drap de chevelure,
le cartilage blanc de l’insomnie sur l’os de vivre
au point de rosée des salives
là encore, avant un avenir de brume
me casser, cela dit être libre
qu’elle ne me retienne pas, moi aussi je suis du réel.
la nuit d’une seule absence
le jour où je cherche un mot pour me sentir moins nue.

la corneille ricane
elle sait que je vais errer à courre
là où partout des barres fixent la hauteur du soleil

*
je ne veux pas être un amour sans lettre
car je suis de ces gens buvards de chair qui n’ont de sens que d’échos et de mots il n’y a pas d’amour sans.

*
je porte le deuil de la nuit, doublure de visage pâle sur le sentier de la guerre
je m’affranchis des silences, la peur qui rêve n’a pas de mots.
je reviens graver sur la lumière les signes du black out
je porte des semences sombres, à jeter en l’airdes ovulesaphones
regarde l’obscur, son langage partout suinte
de la sueur de mort, des gouttes sur ton front
partout suinte et révèle.

un jour il faut peut être cesser car la poesie en a assez de vous
traverser,
vous êtes d’un trop pareil paysage, les mêmes ornières, le carré de terre, la marge à droite tirée au cordeau
vous avez déroulé la chevillère la mesure de chaque pas s’éteint avant le sable
vous ne voudriez pas dire la mort
mais quoi d’autre puisque
devant vous les montagnes se sont couchées
vaincues.
*

Certains matins le ciel tire un chalut d’oiseaux gris. C’est une cargaison sur laquelle s’abat la nuée des décharnés au sexe bleu et aux phalanges blanchies d’efforts. La ruée des météores brûlés du désert
et cette explosion sublime qui éclate soudain de leur baiser troue un instant la mer d’acier.

*
parfois je prends ton poème pour le mien
il fait des trous dans le mur, des œillets où j’enfile le silence
il y a ces carrés où poussent des voyelles et ces vinasses emplies de rêves
il y a ces césures de cartons, ce squelette de sang, la déchirure de tout papier
entre les indicibles.
parfois, je les vois, et jamais mieux que dans ces énigmes, je ne lis la douleur d’aimer.
tu ne me diras plus et cet espace nu qu’il me faut tant semer.

*
se lève ce matin le baiseur sans lèvres, l’inséminateur du tendre,
vent qui partout, vent qui jamais
je suis le brouillon du poème, le coup d’essai
quand l’amour se murmure sans bras
*

je ne suis pas des toiles de soleil je porte ma petite robe noire.
ma jambe en résille grimpe vers des lunes mauves
là-bas même le cœur porte des jarretières et des miroirs
et ce foulard des ciels fauves
j’appartiens aux lichens et à la cloche errant sous la bise
je monte chaque nuit aux cordes des volcans
je jette mon ventre par poignées de fumée
écrire sur l’ardoise des étoiles

Mes mains font et défont. Sculpture du quotidien
Parfois dans la mémoire de l’absence, elles font ton corps
Que je touche à m’y mettre toute entière dedans
Mais que fait le silence qui besogne mes mots
Si ce n’est brasser quelques larmes dans un bol d’océan
Toutes entières dedans
Et si pareil rien

*

Et puis chaque pas me tranche à la rotule, je penche du côté des fleurs
est-ce moi ou le réel qui boite et lequel de nous deux se déhanche ainsi à survivre ?
Je tangue, il pilonne ; je balance, il cavale.
Mon squelette branle de l’os, ma tête frappe et démantèle, je démâte en chemin
et ivre de vertiges, je saisis le nuage
rampe éphémère et béquilles légères des gens qui ne touchent plus terre
*
Nous ne sommes plus amoureux le même jour. Tu as pris les jours pairs et je commets les impairs

Tu m’aimais au doigt et à l’ange, dans les demeures vides des coquilles, à chaque bal de couteaux. Nous avions, enfouies en nous la guerre des sexes et la paix qui sans cesse se déclame.
Tu m’aimais, de cette façon innocente des lames sur les roches, creusant dans le friable des grottes à bébés.
Tu m’aimais bien sûr et j’étais une femme de semences, une plage en avenir
Tu voulais vider les montagnes à la cuillère, pour le sel et pour les sources
mais je dormais le dos accroché à ton ventre

Et c’était perdu pour nous reconnaître.

*

peut-être , y a -t-il deux façons d’écrire- entre autres-. celle qui se travaille et s’use à l’émeri, érosion du discours jusqu’à n’en garder qu’un parfum. et puis cette autre qui vient et témoigne, flashs, écopes, échantillons de temps... sans valeur avant de disparaitre.
ce jour, déjà, la fumée lève ses murs, la terre remonte son col
il faut lacer ses pointes et sortir l’échelle, effiler son crâne jusqu’aux moelles du soleil
là -haut
toujours l’invisible appelle
je suis des gens que rien ne contente sans doute
un poète à la parole grimpante
d’autres je crois existent et c’est bien
j’ai la rage des portes closes, de l’interdit et du secret
Et ainsi de suite
et ce caprice d’insatisfaite m’éloigne de toi
qui ne veux que le sillon et le vin du jour.

*
je ne suis pas prête pour un poème. l’exercice de la voix est dans ses gammes rauques, moteur à explosions qui renâcle de l’étincelle. le temps y est-il pour quelque chose. dehors le ciel a la goutte, ça aide à la mélancolie mais ça feutre l’âme à coup de pluie acide. le poème est-il thermosensible, lavable uniquement à la main, et à sécher sur un fil ?
à ma fenêtre seul le chat, parle aux oiseaux. pour lui qu’importe le ciel, la vie est toujours derrière la vitre

*
pont de nuit
Je gravis chaque soir une échelle de corde
Elle pend et bat le flanc de goudron d’une inatteignable bâtisse. Je me hisse là-haut, lourde de trop de bagages
je m’y tire, je palanque jusqu’à ces sommets célestes . Y parvenir et la rejoindre.
Chaque soir moi fidèle à mon escalade et elle qui toujours revient en plume déjetée à l’ancre du poète
ou fragile esquif reliant l’Ouest à l’Est à coups de palmes sombres
Parfois voilier ébouriffé du vent des « grands » savoirs ou galère sur viscères garnies d’esclaves, tremblant sous les pleurs des tambours
Et puis quelquefois, barque de Charon , secouée du rire jaune des géants disparus
l’Invincible Armada du graveur à la manière noire
J’y monte car c’est au ciel que se tient la nuit
passerelle de mousse, de crépon et de deuil
viaduc aux ailes noires porteur des eaux secrètes
pont de chair dont les piliers font des arches aux lèvres des marins
Impalpable mystérieux pont sur lequel je ne peux m’engager qu’en empruntant – paradoxe du sommeil- des bateaux ou des vaisseaux fantômes.
J’y glisse , car c’est de nuit que le ciel enjambe la temps, c’est de noires nuits ou de nuits blanches qu’il jette un pont après l’autre, les filins qui nouent nos jours,
Et encore de ce noir, cet obscur qu’il vitrifie notre temps de sable jeté aux yeux des voyageurs
Architecture de l’invisible, ce pont de la nuit, dont j’ignore les matières, les contours et que nous abordons tous pourtant
en confiance, en funambule, les bras en balancier.

*

Le rideau est bleu, la fenêtre est ouverte, le vent pousse le ciel dans la chambre.
Ou la mer peut-être.
Une mer de tulle, de vagues dentelles, sur laquelle tanguent des arbres, des jardins et des voisins,
les cargos du territoire.
On peut tirer les eaux et les nouer. On peut croire même qu’elles volent, de grands albatros de salon, des poètes marins aux ressacs cotonneux.
La mer sur galets, la glissière d’un ciel
Derrière,quelque part, entre-temps, la pluie
le verre cousu de perles.

Poème cosmonaute
Chaque lettre
Chaque nuit qui tombe de ma plume étend la voie lactée. Je suis sur l’Everest de l’atome, dans les ellipses magnétiques. Je suis au sommet de l’astre microbe.
Parfois je me regarde de côté. Je m’en vais loin, mon nez embarque, sagittaire tendu. Il étire le crâne dans les paraboles célestes. C’est une manière de voyager trompe la mort.
Je hume un parfum, cannelle amazone, sel et musc, Earth’s truffle
Narines cosmonautes.

*
Temps tassé de nuages, froid hors saison. Aube grise promesse de silence
Qui pose la question ? La lumière ? La nuit ? Ou le chemin ?
Ce qui parle est le pas parce qu’il ose et tire son ombre sans jamais l’écraser. Il y a des êtres solaires, des arbres buveurs de ciel. Et des êtres racines, noyés d’humus et de ronds de sorcière. Parfois l’un et l’autre portent la même écorce, grouillante de sève et de fourmis.

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