Journal poétique / www.jouyanna.ch

VASES COMMUNICANTS

jeudi 3 octobre 2013, par Anna Jouy

petit exploit de blogs en début de mois, la série Vases communicants, due à l’initiative de FBon http://www.tierslivre.net/spip/et Scriptopolis, http://www.scriptopolis.fr/ ce vendredi sur Les mots sous l’aube.

ce Vases communicants est sorti d’un tour de potier, entre Christine Jeanney http://christinejeanney.net/ et moi-même

pot de glaise à quatre mains. tour à tour, interpellant et convoquant notre Mémoire
nous avons « monté » l’eau et la terre, l’une après l’autre, et ainsi jour après jour de septembre, œuvré de colombins en coups de pédale. et le voici.

le vase a guidé nos gestes.
une forme légère a grimpé, une finesse étirée pour gagner en profondeur.
on n’en savait pas plus, Christine et moi. juste ce simple désir de faire les ouvrières et de laisser les mots s’appeler les uns après les autres, construire, tourner le vase commun.
une phrase chacune, chaque jour.

ce début d’octobre nous avons poursuivi, chacune tournant cette fois sa propre ouverture.
comme un vase à deux cols

Christine Jeanney, c’est la maîtrise selon ce que je cherche à atteindre. Elle possède cette parole fluide de la sincérité. Quand on la lit, on sait que l’on touche à l’anche de l’instrument. On n’a aucun doute : ces mots sont bien les siens, si parfaitement ajustés. Alors les aimer, c’est savoir que celle-là qui les dit a notre totale adhésion. Fraternelle, amicale, exigeante et ouverte. Un plaisir immense.

******** LA FEMME TISSEE

—Mémoire sais-tu que je te pense en creux, en trous, en vide, que je te convoque à ma table pour évoquer l’épars ?

— Viens t’installer et n’aie pas peur, nous ne te voulons pas de mal. Juste te dire. Il y a tant.

— Tes lèpres lumineuses, tes mites de jours enfouis, ces dentelles sur ma parole, je les connais et les aime.

— Tes trous, tes épines, tes broussailles, et l’autre jour je te cherchais, je le cherchais à travers toi, le disparu.

—Oui. Prends place dans le silence, laisse-moi te confier : tu détiens un miracle, le faire revenir...

— Tu le réveilles, il fait comme si de rien n’était, il n’a pas froid et il nous parle. Comme si la mort était passée sans le toucher. Tu le réveilles intact, et pourtant différent.

—Il a revêtu cette chemise parfaite et des traits bien coupés, cousus à même ma peau, sur la bête amoureuse. Il est brûlant.

— Il est le père le frère l’enfant, il est le regard qu’il lançait et la main avancée, il est le dos qui va en s’éloignant. Ses préférences. Sa voix. Et lui, petit, que nous ne connaissons pas.

—Mémoire, je sais tu le gardes, multiple, varié, ce que j’en savais et pareil tout ce que de lui je n’ai jamais compris.

— et comme tu te maquilles en le montrant, robes de chair, ou coques d’étincelles brillantes d’insecte au soleil, ce que tu offres et changes en un instant.

—Tu fais de l’absence des moires et le catalogue vertueux du bonheur. pourtant, je voudrais parfois laisser "fieler" mon âpre chagrin. la perte injuste.

— Tu te tiens grave et tu restes debout. Tu ne juges plus maintenant. Tu tisses et tu détricotes, tu brodes le motif et tu coupes ses fils, inlassablement, comme on veille.

—Toi étamine aux mailles lâches qui laissent couler les fleuves et gardent les prunelles des beaux jours, dans l’étoffe du temps.

— Tu m’insupportes. une étourdie. une radoteuse de mauvaise foi, quand tu fabriques du sable avec des riens, ou des pavés dodus, des crasses, quand ton nom est Mensonge.

—Quand je te pense fiable et que tes clichés ne sont que travestis, images botoxées et légendes en silicone.

— Et ces flous que tu laisses, volontairement, cette pellicule indécollable, cette crasse diaphane, ça mange la moitié des gestes et creuse les visages - ça fait sombrer les voix qu’on ne peut pas reconstruire.

—Combien de cloche-pied sur tes absences, combien de sursauts claudiquant pour remonter le cours de ma rivière.

La femme tissée n’a pas tourné la tête.
La femme tissée est inconstante. Une découpe de brouillard.
La femme tissée de la mémoire est étrangère.
La femme tissée est silencieuse. Nous voulions quoi, la prendre à la gorge, quel piège, sa gorge, le cou long traversé de ridules et de veines, quoi ? écraser ce cou dans nos mains, la faire hurler ou chuchoter mais qu’au moins on l’entende, qu’elle fasse briller le grand recommencement, la route, les cyprès loin, le pain grignoté et cette eau qu’on guidait dans le sable, il partait dans les soubassements, les fondations, entre les tiges de fer, la rouille, les briques et les brouettes, l’eau se perdait, elle emplissait la nuit entière, et c’est la nuit maintenant, sur la robe de la femme tissée.

http://christinejeanney.net/
mon vase ici http://christinejeanney.net/spip.ph...

ces Vases sont sous la protection de Brigitte Célerier. je la remercie infiniment de son attention généreuse .
La liste complète ici http://rendezvousdesvases.blogspot.fr/

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