Journal poétique / www.jouyanna.ch

ombres

mercredi 21 décembre 2016, par Anna Jouy

Je te parle des métamorphoses, incessantes floraisons des mystères car en chaque chose, il est un poing dur qui, s’ouvrant, libère un être hybride, une nouvelle apparence. Rien n’y échappe. De l’eau, au feu, à l’air, à la terre, en tout ce qu’on peut dire ou taire, le dédale des transformations. De moi, surgissaient de nouvelles formes, et ton corps aussi se modifiait et revenait, autre, plus grand, plus droit, plus fort. Nos images traversaient les portes de la mort, éclosant différentes dans les couloirs du temps. Nous changions, mouvantes vies et apparences, variations physiques nous dévêtant de nos anciennes pelures pour la peau nouvelle. Chaque vie comme un cocon emballant une larve pour la modifier, une écorce autour d’un grain, une coque protégeant un nouveau fruit. Je franchissais les aubes et les crépuscules, toujours moi et jamais la même. Les métamorphoses ne cessaient de m’inventer, et toi aussi, offrant à nos êtres des formes mobiles et instables tout en laissant intact qui nous étions au cœur et que nous ne savions pas. Tant de formes et de mirages nous racontaient, faisant jaillir de nous des traits, tant, qu’on croyait bien se connaitre et se savoir. Pourtant nous étions tenant entre nos doigts la bogue d’une noix mais incapables de dire ni le goût ni la texture du fruit qu’elle contenait. Nous connaissions sans certitude, nous étions proches mais entre nous demeurait l’espace immense de ce qui ne peut jamais se toucher.
Le soleil venait de te dessiner et cette forme au sol, suivant scrupuleusement le moindre de tes gestes semblait toi et autre. Tu courrais, elle emboitait ton pas. Tu t’étirais et elle aussi. Quoi que tu fasses, autant que tu bougeais, cette présence grise, qui était toi sans parvenir à te dire entier, amande cachée. Et tu songeas alors que l’ombre était ton image, une partie de toi sans le moindre doute, te racontant dans tous tes détails et te taisant dans toutes tes épaisseurs. Tu te dis qu’elle te révélait. Qu’elle posait sur le sol ton histoire. Tu compris que l’ombre te désignait en posant des traces. Et qu’il y a de l’ombre pour chaque être. Tu compris qu’il fallait créer l’ombre des mots qui sortaient de ta bouche, et l’ombre aussi des mots qui ne se disent pas mais se pensent. Et que ce faisant, tu parviendrais à te faire mieux comprendre et que tu saurais aussi ce que laisse cette part de toi qui ne vient jamais au sol ni la nuit ni le jour. Tu inventas l’ombre de la parole, tu écrivis.


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