C’est une chambre. Ne pas l’imaginer sombre...
mardi 20 janvier 2015, par
C’est une chambre. Ne pas l’imaginer sombre mais blanche, très blanche. Murs armoire murale, tout est blanc. Il y a un lit, un seul lit, une table et un petit coin sur lequel sont déposés les produits de maquillage de la sœur. Il y a un piano.
Le soir, il faut tirer le lit, celui qui est caché dessous l’autre, tirer le sien donc, qui n’existe pas. Ne pas le dresser mais rester comme ça à terre. Dormir, rêver en dessous.
Dans l’armoire, il y a deux étagères pour les habits. Toujours des vieilleries, de vieux pulls, des jupes sans forme, jamais rien qui soit à la mode, rien qui soit beau et rende belle. Tout est bien assez bon. Il n’est pas question de mettre en valeur, mais question de disparaitre. La mère le veut ainsi.
A table, ne plus ouvrir la bouche, cela ne sert à rien car on ne demande pas son avis. Ne rien avoir à dire qui intéresse. Comprendre qu’elle n’a pas lieu. On affirme sporadiquement qu’elle n’est pas une sœur. On va le lui redire encore et encore. Jusqu’à ce qu’elle ne soit plus sœur… Le plus souvent la nommer avec un autre nom, celui de cette tante que personne n’aime, l’assimiler. Elle prendra la mesure de ça plus tard quand il faudra se rendre à l’évidence que pour tant de gens elle n’a jamais été de la famille… On se gêne de la présenter ; elle ne ressemble à rien.
Ce n’est pas par méchanceté. C’est parce que dans cette vie, il n’y a pas de souffrance morale, il n’y a pas de blessure morale. ça n’existe pas. On a les mains propres puisqu’elles n’ont pas porté de coup..
N’exister nulle part. Elle, sa réalité, son intelligence, ses talents n’existent nulle part que dans sa propre tête, que dans le secret de sa propre pensée. Elle n’est rien ailleurs. Alors rentrer dans sa propre tête, c’est là qu’elle est chez elle.
Plus tard, elle ne sera pas soudainement quelqu’un, non. Elle sera à jamais personne.
Parce que dans son crâne elle ne sait pas comment on peut être soi-même dans et avec le monde, dans et avec un autre…Elle aura toujours en elle le secret de qui elle est, qu’elle doit cacher pour qu’il puisse battre...
Il n’a jamais été question qu’elle soit et seulement écrire la constitue. C’est quand elle transpose ce qu’elle est sur le papier qu’elle est prend forme. il n’y a aucun autre endroit.
Elle doit écrire pour vivre, pour que sa pensée existe, son souffle existe, pour que sa spécificité existe… En dehors, chaque fois, elle montre le masque obligé, elle se plie au silence. Elle laisse les gens être, n’intègre rien vraiment.
Parce que depuis « toujours » elle ne peut pas faire partie de la société humaine, elle ne peut pas respirer dans le sentiment humain, dans la fraternité… puisque c’est l’endroit où elle n’a jamais été et elle le sait, et elle le craint comme le pire.
Alors se sentir maudite : elle ne peut aimer personne.
Messages
1. C’est une chambre. Ne pas l’imaginer sombre..., 20 janvier 2015, 16:58, par HERMY cHRISTIAN
Et bien rassurez vous, moi je vous aime, j’aime cette écriture d’écorchée vive, tant mieux pour le lecteur que votre héroine existe, prenne forme à travers cette argile des mots !
Amitiés et remerciements en poésie.
2. C’est une chambre. Ne pas l’imaginer sombre..., 20 janvier 2015, 17:47, par brigetoun
et elle sait que ce sera toujours ainsi, même, quand, un temps, elle peut croire qu’elle est devenue visible…
oui mais ce n’est pas elle que l’on voit en fait, et tôt ou tard cela redevient évident
alors elle reste disponible, et parfois elle éclate, non .?
3. C’est une chambre. Ne pas l’imaginer sombre..., 20 janvier 2015, 19:11, par annaj
je ne sais plus trop.. je constate mon impossibilité à me montrer telle que je suis autrement que par les mots...le reste semble ne jamais pouvoir exister.
merci à tous les deux de vos commentaires
4. C’est une chambre. Ne pas l’imaginer sombre..., 20 janvier 2015, 20:17, par Anh Mat
Ce monde qu’il te faut explorer, quand tu t’avances en lui, il se défait, se dilue, perd la réalité qu’il semblait avoir à l’instant où tu éprouvais le besoin d’y pénétrer. Tu voudrais rencontrer en toi la terre ferme de quelque certitude, et tu n’y trouves au contraire que sables mouvants. Souffrance aussi de ne pouvoir communiquer avec la mère non plus qu’avec le père. Elle qui s’use au travail, et lui, muré, qui n’ouvre la bouche que pour ronchonner et bougonner des ordres. Atmosphère pesante. Sensation d’être toujours décalée. Sentiment obscur que ce qui gît en toi est plus ou moins perçu comme une tare et qu’il te faut veiller à le garder secret. Et cette autre souffrance à voir comment se comportent les habitants du village. Comme rongés par un mal secret d’où ne résultent que défiance, suspicion, jalousie.
lambeaux, Charles Juliet
1. C’est une chambre. Ne pas l’imaginer sombre..., 20 janvier 2015, 20:54, par Anna Jouy
c’est l’exacte description...encore faut-il ensuite oser croire en sa propre parole et croire que l’on ne se tient pas qu’à un filet de fumée, l’imaginant corde de secours