Journal poétique / www.jouyanna.ch

repas

mercredi 2 juillet 2014, par Anna Jouy

Elle penche sa tête en avant, contre le pare-brise, elle avance encore un peu et regarde. Bien évidemment il est là, là-haut, derrière sa fenêtre à lui, la fenêtre qui ne bouge plus. Elle voit qu’il regarde mais qu’il ne la voit pas. Qu’y a-t-il entre eux ? Un épais nuage de lumières, éclatant disparate qui dissipe la vision, en fait des miettes , des particules qui distraient la perception et l’approche des choses. Leur rendez-vous.
Il fait face au bruit que la voiture a fait, une sorte de froissement de la solitude qui l’a poussé à se lever et venir là, comme il vient chaque midi, quand elle arrive. Aucun sourire, aucun accueil, que ce truc dont elle va se contenter, qu’elle va décortiquer, langage d’un corps qui surpasse les mots. Sur son visage, toujours l’exacte réplique de la veille, quoi qu’elle y voit pourtant parfois de nouveaux plis. Mais elle secoue la tête. Non c’est bien lui, identique, immuable, indestructible.
La clef est sur la porte. C’est la seule manière qu’on a trouvée. La laisser là, à la portée des autres puisque qu’elle ne l’est plus à la sienne. Ne pas penser aux gens sans foi, aux voleurs. Penser simplement qu’elle est assez cachée par la poignée et qu’il faudrait savoir pour tenter l’aventure. Personne ne vient jamais.

Il ne bouge pas ou très peu. C’est devenu un exploit dont elle tente de minimiser en elle les résonnances tristes. Ne fut-il pas un temps plus leste, plus agile ? Il se déplace. Elle fait comme si de toute sa vie, il s’était toujours déplacé ainsi, arcbouté à un engin à roulettes dont il ne sait pas vraiment si c’est lui qui le pousse ou l’autre qui le tire.
Il passe du salon à la table, se laisse choir sur une chaise qu’elle a postée là en cachette, pour qu’il n’éprouve aucun besoin de demander quelque chose. Il tient à faire comme si, elle obéit. Tenir comme ça tête à ce qui se passe, niquer le quotidien en le snobant. Les difficultés je leur pouffe à la gueule ! Qui c’est qui commande ici ! Elle obéit. Comment ferait-elle autrement ?
Dans le bol elle verse des nouilles, bien trop salées, qui sont piquantes. On les arrose d’eau bouillante, on attend. Ce sera bon. Il n’a plus de goût à rien.


Lettre à mon vieil ami. - Arts et Lettres
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