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l’ami...suite

samedi 16 novembre 2013, par Anna Jouy

Il est monté jusqu’à cet étage de lumière, mon voisinage de feuilles et de vapeur pour poser devant ma porte son silence. Je dormais, j’étais loin, ailleurs. Et son soupir a frôlé mon paillasson sans que je puisse le recueillir.
Je n’ai rien perçu. Je suis envahie de tant de bruits, de tant de musiques, de demandes, de questions. Ni disponible ni ouverte. Polluée de sons divers, de mots sans importance, de termes complexes, de dépositions douteuses, d’aveux torves. Pourtant présente, recherchant sottement dans cette cacophonie le souffle léger de son silence.
Il n’y a jamais assez de foin pour trouver cette aiguille, cette concrétion de l’air que serait son verbe, son râle, son rire peut-être.

Et puis déposée à terre, l’aiguille de mon escarpin, plantée à rebours de bon sens, piquée dans le bois de ma porte, flèche directionnelle de l’évitement, de la déviation.
Sans cesse je reprends mon verbe, celui qui est voûté dans ma plus profonde caverne. Je parle, je radote, j’écris tout et n’importe quoi. Pour tenter vainement de repriser ces cordes vocales filées, le trou béant de ce pharynx de pierre.

Je ne l’entends pas. Est-ce donc que sa parole me blesse désormais, qu’elle ne me convient plus, qu’elle dit ce que je ne veux pas entendre ?

A quel moment deviendra-t-il l’ennemi ? A quel instant ce mutisme fera-t-il naître ma lassitude, fera-t-il émerger ces questions différentes, celles qui n’ont plus rien d’apprenant mais tant de déchirant ?

Il est venu.
Alors encore l’espoir d’empiler sur la table les lettres de notre scrabble intime. Encore la patience prolongée de quelques jours, d’une nouvelle semaine peut-être et avec elle l’acceptation de ce fichu silence.
Il est venu.
Mais la crainte aux viscères d’un motif douloureux.
Mais l’inquiétude du pourquoi et de n’avoir aucun moyen de le savoir.

Il est venu.
Et encore l’évidence que, si tel était le cas, le filin qu’il y a entre lui et moi n’est pas rompu.

Je ne sais pas les motifs du silence. Se taire est un privilège sans explication en toute bonne logique. Dans quel bourbier de mauvais messages avons-nous glissé… Qu’avons-nous si faussement tissé entre nous qui nous vaille maintenant de longer les dentelles muettes des gargouilles des églises.
A l’intérieur de moi, la paix du temple, son obscurité, le cocon du monde de la prière.
A l’intérieur de lui peut-être la même crypte mais peut-être l’immensité du désert. Comment le savoir ? Nous tournons en repérage le long de nos murs respectifs, dans l’incapacité de trouver le porche et l’entrée des chapelles.

L’ami est-il monté vers ma porte ? Alourdi d’une intention que je ne saurai pas ?
Bien plus forte pourtant, la quasi conviction que ce n’est pas lui, qu’il n’a franchi aucune marche. Et que l’ami n’existe plus que dans la conque du marin, un son perdu dans le brouillard indéfini et impalpable. L’ami n’est plus que cette métaphore de moi, une silhouette à peine esquissée qui se fond dans l’ouate de l’automne.

Et tandis que mon imaginaire construit mille et un visiteurs posant sur le seuil de ma porte mes deux escarpins en quinconce, l’ami est le seul que je devrais avec certitude exclure de mes projections.


double portrait par Raffaello

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