Journal poétique / www.jouyanna.ch

à la "déraubée"

lundi 25 janvier 2016, par Anna Jouy

A la « déraubée »

Chaque jour, tu me vois, n’est-ce pas, vêtue de mes heures sombres, revenir. La Terre a encore tourné et je suis à nouveau, comme un animal qui ne peut pas comprendre, devant la porte. L’aube va s’ouvrir. Et c’est bien à la même fente que le soleil surgit. Tu me vois qui écris et tente alors de rentrer chez elle. Tu me vois qui regarde cette lueur, la porte qui grince, la porte du temps qui s’ouvre et moi qui égrène des mots de passe. J’apporte mon lot, ma tentative, ma bribe comme les autres. Des formules. Tu entends mes litanies, me vois avec mon accessoire de devises, tenter le retour comme les autres. On est de la race des revenants. Rentrer chez soi. Rentrer. Dormir à l’abri de son ange, le repos est sous l’aile.

Mais tu me vois aussi repartir hélas, reprendre le fil, saisir la carte, tenter une nouvelle traversée de l’espace. Je voulais rentrer pour le repos ou alors mettre racines, jardinier ou architecte. Nous autres ne voulons que sortir de l’errance, du circuit, du cercle qui bouge. Il y eut un jour, ce point fermé de la porte des ancêtres où il nous fut dit « Va-t-en, je te chasse, maudit ! »

Ils m’ont jetée dehors avec pour dernier ressort des ânonnements, du son, de la morve, et la peau des joues pour faire squelette. Leur malédiction, mots, paroles, cette matière héritage, l’outil à plomb, la gâche, le mortier dont il faut recréer ma maison, recréer souvenir par souvenir, jour et heure. Le chambranle de la porte qui s’efface et qui serre, rouille mordante. Il faut reconstruire, redéfinir les métrées, marcher, arpenter.

Évacuer ainsi le temps, déblayer la montage que j’en ai faite, -dessous est enfouie la porte-, et cela ne se peut que d’une seule façon, qui est de désigner, mot après mot, chaque pierre- c’est ainsi qu’il faut faire pour désamorcer le tas. Et chaque jour encore et encore, d’une montagne de sable défaite à celle refaite juste à côté. Et de reprendre, de m’approcher, comme je le crois, de me penser plus très loin, presque, vraiment, sur la margelle. Chaque jour, je gonfle le tumulus de l’espoir, de mots encore et plus, de mots dits, tous ceux que j’ apprends, que je gerbe, toujours voulant sésame avoir. Et plus je prononce de nouveaux idiomes, combine les syllabes, organise de phrases bagatelles, plus je parle, comme moulin sous le vent épuise la mer des polders, plus encore il me faut, et espérer du vent et le brasser à fort coup d’ailes.

Je me donne à ces tâches, cet éternel retour à la porte, l’aube que tu sais, tant et tant jusqu’à douter qu’elle n’ait jamais été ni ouverture ni passage. Si ce n’était qu’un leurre auquel on veut toquer, lors que derrière aucune maison, aucune chambre ? Ces ouvrages en continu ne me gardent-ils pas mieux que tout hors de la lumière ? N’ ont-ils pas tout compris ceux qui trépassent avec la nuit, êtres mourants, condamnés, exécutés dans la première giclée du sang de lumière ? Ne faut-il mourir ? Les mots ne doivent-ils le faire ? Peut-être faut-il éparpiller son bien de langue, égrapper son vocabulaire ? Tendre au babil. Et que libre alors de ces monceaux de parole, débris toujours, parcelles inédites, impures que je présente en offrande pour identification, je puisse avec l’étendue du silence seul, passer sous les lamelles du Sunstore

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