Journal poétique / www.jouyanna.ch

Le cahier, je le reprends. Je me sens autre...

lundi 4 décembre 2017, par Anna Jouy

Le cahier, je le reprends. Je me sens autre et pourtant je reprends le cahier. L’écriture change, s’apetisse. Je mets plus de mots sur une ligne qu’il y a peu. Je serre le dit dans ce tuyau, je bourre l’écrit à la ligne. Sans air. Les images de là-bas sont fortes encore, les gens, les passants, le son des heures selon qu’il faut prendre un thé, une piqûre, du sang frais, des épinards ou un café fort dont à chaque fois on me dit qu’il sera nu. Alors un café nu pour des gens sans culotte, attachés à des blouses blanches ou bleues. Dans cette pâleur, ce petit noir qu’on vous sert comme un joint frauduleux parce qu’il a été tiré d’un Nespresso de l’étage, une machine personnelle remise au bon plaisir des malades par une âme arabica. Maintenant, dans cette chambre où chaque pas me coûte une chute de paupières, je reprends le cahier et je me sens puissante. Enfin j’écris, ce n’est qu’un mot je reprends pouvoir sur moi. Je peux, j’ose une action, un verbe. Je ne suis plus si tétanisée par le silence ou le boucan que fait la maladie. Je sors du ventre arachnéen et je tisse mon nouveau fil, une autre bave, plus lente, plus visqueuse, toute nouée de gorge et de ces cris qui ne venaient jamais. Ils s’empêtrent dans le cahier, ivres de faire ce que bon leur semble. Ce sont des mots, autonomes non, mais macérés dans d’autres fiels, plus intimes, plus rudes, plus acides tels que sont ceux de la mal a dit. Authentiques. Il n’y aura que ça. Déposer ses effets, « nudifier » le texte bavard. Le cahier ne supportera plus rien d’autre. Il fermera à chaque mauvaise attaque. Le temps de l’histoire, le sens. Je ne me passerai plus de véracité -qui n’est pas la vérité- mais la nature la plus proche de ce qui est.

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