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work in progress silence

dimanche 9 juin 2019, par Anna Jouy

....C’est une forme du silence, celui qui étouffe les mots en dedans. Un silence contraint, un silence de battus.
Serrer la mâchoire. C’est un fleuve qui voudrait sortir.. faire barrage. Ne pas se noyer, c’est tout ce qui importe. Pleurer pour se sentir mieux. Comme quoi, on peut changer les mots en eau. Ils sortent et personne ne les reconnaît....

...Oublier bien sûr, petit à petit pour faire de la place à d’autres événements, à d’autres gens, à d’autres enfants. Oublier à force de silence, traumatisme qui essuie la mémoire. Oublier de se répéter les images, les mots. Et puis un jour se lever, sans autre souvenir que la pesanteur épouvantable de la pierre de silence qui habite. C’est le silence qui n’est pas de larmes mais de catafalque....

...Et cet autre silence, que leurs corps définissent, c’est la tristesse, l’addiction, ce sont leurs ventres muets. Leur silence, c’est l’absence de paroles, l’empêchement d’avoir des mots à mettre dessus. C’est un silence qui vient de ce qu’on ne sait pas. De ce qui n’a pas été dit, qui ne sera jamais dit. Le silence sans support, un silence ni choisi, ni traumatique et secret, c’est le silence du non-savoir. Un silence fluide qui les entoure et les pénètre, un silence qui se fait partout sentir sans ne jamais dire son nom. Un silence qui entre sous la peau, qui cherche à prendre corps et le trouve.
C’est un silence sans alphabet, sans raison, un silence néant. Celui qui nous viendrait si on nous priait d’expliquer Dieu. Le silence de ce qu’on ne sait pas, c’est le silence né du silence. Un ennemi inconnu contre lequel on ne sait même pas qu’il faudrait se battre...

...Il reste le mien de silence. Leur silence, peut-être, qui cherche en moi sa nouvelle coquille, qui la trouve, qui se nourrit d’isolement et mise en marge. Un silence oppressant parce que de mon observatoire solitaire, je le vois se distinguer, je le vois muer et prendre différentes formes, des formes vécues par mes femmes, subies par elles et qui se représentent à ma porte. Un silence révoltant, un silence de larmes, de pierre et de non-dit. Je le sais comme la douleur, l’immuable et l’incompréhension.
Ce silence ne se dissipera jamais ou très lentement..., il ne cesse pourtant de me pousser à prendre les mots, à bras le corps. Je prends la plume. Ce n’est pas encore dire vraiment. Ce n’est pas un verbe libre. C’est entre les deux. Un écrit. J’essaie de soigner mon silence. Je l’affronte dans le secret. Je développe une parole sans son, sans écho. Je forge une parole énigmatique, à l’abri des oreilles des autres, à l’abri de ma propre bouche. Car j’ai sans doute appris par le sang, celui du père et celui de ma mère, le danger de la parole. Ecrire, c’est choisir une voie pour une voix couverte de silences.

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