Journal poétique / www.jouyanna.ch

strasbourg verticale 3

feuilleton

vendredi 26 juillet 2013, par Anna Jouy

pour mieux suivre il y a deux voix dans le roman et deux écritures

3

Cette ville est rose. Non. Elle est noire. Je ne saurais dire pourquoi... Est-ce cette oppressante pollution des voitures ou les restes d’une époque où le charbon s’exhalait dans cette partie du monde ?

Partout dans la ville ancienne, je retrouve ce jus lie de vin qui habille les immeubles et je ne peux m’empêcher de trouver cela beau. Qu’importe à quoi tient cette couleur du temps.

Je marche. Je marche. Les rues piétonnes et les quais. J’ai presque tout traversé aujourd’hui encore. Le sens de cette recherche m’échappe. Je suis venue ici. Pourquoi donc ?

Si tout a un sens, il y en a un d’être là. Roulante roulotte, je me trimballe d’un quartier à l’autre, d’une place à l’autre.

Place de la cathédrale. Musée de l’Oeuvre Notre-Dame. Palais Rohan.

Le vent souffle. Je marche et fais le tour de ce sanctuaire considérable, dont l’entier des dentelles, des clochetons défie mon sens de l’équilibre. Me défie tout entière. Tête renversée, je me sens aspirée vers le ciel, projetée dans une ascension vertigineuse. Je gravis, je vole vers la plus haute tour emmaillotée de filets et d’échafaudages. Je suis là-haut d’un coup d’aile, d’un battement de coeur. Comme si les fardeaux pouvaient soudain tomber vers le ciel et m’entraîner dans leur chute légère, cet envol vers l’azur, leur étrange domaine. Chute inversée.

Combien j’aimerais que ce désir se réalise ! Et comme tout serait potable s’il n’y avait pas tant d’impossibles, tant d’infanticides ?

Je recherche sans masque un sens à ce voyage qui m’a traversé l’esprit. J’ai dû écouter une voix ou alors des voix... Les résonances de ce mot. Strasbourg. Un mot rigide, droit, qui file comme un train et freine à chaque gare. Strasbourg ! Strasbourg, tout le monde descend... Les passagers pour Strasbourg Quai 2 voie 7. Quai 3 voie numéro 5. Et moi je l’articule sans cesse, Strasbourg, comme une incantation. Un mot de passe pour une porte qui va s’ouvrir ? Une prière ou un rituel ? Je voyage et je crois même à chaque déplacement faire rencontre. Mais je ne saisis rien.

Sur le quai St.-Thomas, il y a des gens avec des chiens. Le rouge de leurs gencives me fait peur, et cette manière qu’ils ont de me deviner amie des chats. Un homme avance, chevelure de statue grecque, ondulée et raide à la fois, peignée en arrière et longue sur la nuque. Il semble sourire. Un peu je crois. Son chien noir aussi et je vois ses canines blanches. Ne pas fixer son regard... Trop tard, je l’ai dans l’oeil. Ce sentiment confus de crainte, de danger extrême, d’incident inéluctable ! D’un coup de laisse, son maître le ramène à lui. Cet homme est beau. Ce simple fait m’apaise un peu. Comme si cette beauté allégeait ma peur, l’air ou la pesanteur de mon propre corps.

Ce n’est peut-être que pour ce croisement quai St. Thomas que je suis à Strasbourg ? Me reste un sentiment particulier d’inquiétude et d’envie.

Chaque pas aurait un sens, chaque jour sa part de révélation ? On me l’a dit mais j’ai du mal à y croire. Il me semble plus authentique de crier que rien n’a de sens. Un point, c’est tout. Sur cette route, je suis déroutée.

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